Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/223

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une épître au Colonel Godard, où je le drapai de mon mieux. Je montrai ce barbouillage à Madame de Merveilleux qui, au lieu de me censurer comme elle auroit dû faire, rit beaucoup de mes sarcasmes, de même que son fils, qui, je crois, n’aimoit pas M. Godard & il faut avouer qu’il n’étoit pas aimable. J’étois tenté de lui envoyer mes vers, ils m’y encouragerent : j’en fis un paquet à son adresse & comme il n’y avoit point alors à Paris de petite poste, je le mis dans ma poche & le lui envoyai d’Auxerre en passant. Je ris quelquefois encore en songeant aux grimaces qu’il dut faire en lisant ce panégyrique où il étoit peint trait pour trait. Il commençoit ainsi :

Tu croyois, vieux Penard, qu’une folle manie

D’élever ton neveu m’inspireroit l’envie.

Cette petite piece mal faite, à la vérité, mais qui ne manquoit pas de sel & qui annonçoit du talent pour la satire, est cependant le seul écrit satirique qui soit sorti de ma plume. J’ai le cœur trop peu haineux pour me prévaloir d’un pareil talent ; mais je crois qu’on peut juger par quelques écrits polémiques faits de tems à autre pour ma défense, que si j’avois été d’humeur batailleuse, mes agresseurs auroient eu rarement les rieurs de leur côté.

La chose que je regrette le plus dans les détails de ma vie dont j’ai perdu la mémoire, est de n’avoir pas fait des journaux de mes voyages. Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j’ose ainsi dire, que dans ceux que j’ai fait seul à pied. La marche a quelque chose qui anime