Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/238

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pouvoir en quelque façon rendre mon ame transparente aux yeux du lecteur, & pour cela je cherche à la lui montrer sous tous les points de vue, à l’éclairer par tous les jours, à faire en sorte qu’il ne s’y passe pas un mouvement qu’il n’apperçoive, afin qu’il puisse juger par lui-même du principe qui les produit.

Si je me chargeois du résultat & que je lui disse ; tel est mon caractere, il pourroit croire, sinon que je le trompe, au moins que je me trompe. Mais en lui détaillant avec simplicité tout ce qui m’est arrivé, tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai pensé, tout ce que j’ai senti, je ne puis l’induire en erreur à moins que je ne le veuille, encore même en le voulant n’y parviendrois-je pas aisément de cette façon. C’est à lui d’assembler ces éléments & de déterminer l’être qu’ils composent ; le résultat doit être son ouvrage, & s’il se trompe alors, toute l’erreur sera de son fait. Or il ne suffit pas pour cette fin que mes récits soient fidelles, il faut aussi qu’ils soient exacts. Ce n’est pas à moi de juger de l’importance des faits, je les dois tous dire, & lui laisser le soin de choisir. C’est à quoi je me suis appliqué jusqu’ici de tout mon courage, & je ne me relâcherai pas dans la suite. Mais les souvenirs de l’âge moyen sont toujours moins vifs que ceux de la premiere jeunesse. J’ai commencé par tirer de ceux-ci le meilleur parti qu’il m’étoit possible. Si les autres me reviennent avec la même force, des lecteurs impatiens s’ennuyeront peut-être, mais moi je ne serai pas mécontent de mon travail. Je n’ai qu’une chose à craindre dans cette entreprise ; ce n’est pas de trop dire ou de dire des mensonges ; mais c’est de ne pas tout dire, & de taire des vérités.


Fin du quatrieme Livre.