Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/269

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sans en désirer le prix. Je l’obtins pourtant. Je me vis pour la premiere fois dans les bras d’une femme & d’une femme que j’adorois. Fus-je heureux ? non, je goûtai le plaisir. Je ne sais quelle invincible tristesse en empoisonnoit le charme. J’étois comme si j’avois commis un inceste. Deux ou trois fois en la pressant avec transport dans mes bras, j’inondai son sein de mes larmes. Pour elle, elle n’étoit ni triste ni vive ; elle étoit caressante & tranquille. Comme elle étoit peu sensuelle & n’avoit point recherché la volupté, elle n’en eut pas les délices & n’en a jamais eu les remords.

Je le répete : toutes ses fautes lui vinrent de ses erreurs, jamais de ses passions. Elle étoit bien née, son cœur étoit pur, elle aimoit les choses honnêtes, ses penchans étoient droits & vertueux, son goût étoit délicat, elle étoit faite pour une élégance de mœurs qu’elle a toujours aimée & qu’elle n’a jamais suivie ; parce qu’au lieu d’écouter son cœur qui la menoit bien, elle écouta sa raison qui la menoit mal. Quand des principes faux l’ont égarée, ses vrais sentimens les ont toujours démentis : mais malheureusement elle se piquoit de philosophie & la morale qu’elle s’étoit faite, gâta celle que son cœur lui dictoit.

M. de Tavel son premier amant fut son maître de philosophie & les principes qu’il lui donna furent ceux dont il avoit besoin pour la séduire. La trouvant attachée à son mari, à ses devoirs, toujours froide, raisonnante & inattaquable par les sens, il l’attaqua par des sophismes & parvint à lui montrer ses devoirs auxquels elle étoit si attachée, comme un bavardage de catéchismes, fait uniquement pour