Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/296

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tremper jamais dans aucune guerre civile & de ne soutenir jamais au-dedans la liberté par les armes, ni de ma personne ni de mon aveu, si jamais je rentrois dans mes droits de citoyen. Je me rends le témoignage d’avoir tenu ce serment dans une occasion délicate & l’on trouvera, du moins je le pense, que cette modération fut de quelque prix.

Mais je n’en étois pas encore à cette premiere fermentation de patriotisme que Geneve en armes excita dans mon cœur. On jugera combien j’en étois loin par un fait très-grave à ma charge que j’ai oublié de mettre à sa place & qui ne doit pas être omis.

Mon oncle Bernard étoit depuis quelques années passé dans la Caroline pour y faire bâtir la ville de Charlestown dont il avoit donné le plan. Il y mourut peu après ; mon pauvre cousin étoit aussi mort au service du roi de Prusse & ma tante perdit ainsi son fils & son mari presque en même tems. Ces pertes réchaufferent un peu son amitié pour le plus proche parent qui lui restât & qui étoit moi. Quand j’allois à Geneve je logeois chez elle & je m’amusois à fureter & feuilleter les livres & papiers que mon oncle avoit laissés. J’y trouvai beaucoup de pieces curieuses & des lettres dont assurément on ne se douteroit pas. Ma tante qui faisoit peu de cas de ces paperasses, m’eût laissé tout emporter si j’avois voulu. Je me contentai de deux ou trois livres commentés de la main de mon grand-pere Bernard le ministre & entr’autres les œuvres posthumes de Rohault in-quarto, dont les marges étoient pleines d’excellentes scolies qui me firent aimer les mathématiques. Ce livre est resté parmi ceux de Madame de Warens ; j’ai