Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/31

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& je n’ai pas peur d’être puni derechef pour le même fait. Hé bien, je déclare à la face du Ciel que j’en étois innocent, que je n’avois ni cassé ni touché le peigne, que je n’avois pas approché de la plaque & que je n’y avois pas même songé. Qu’on ne me demande pas comment le dégât se fit ; je l’ignore & ne le puis comprendre ; ce que je sais très-certainement, c’est que j’en étois innocent.

Qu’on se figure un caractere timide & docile dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, indomptable dans les passions ; un enfant toujours gouverné par la voix de la raison, toujours traité avec douceur, équité, complaisance ; qui n’avoit pas même l’idée de l’injustice, & qui, pour la premiere fois, en éprouve une si terrible, de la part précisément des gens qu’il chérit & qu’il respecte le plus. Quel renversement d’idées ! quel désordre de sentimens ! quel bouleversement dans son cœur, dans sa cervelle, dans tout son petit être intelligent & moral ! Je dis qu’on s’imagine tout cela, s’il est possible ; car pour moi, je ne me sens pas capable de démêler, de suivre la moindre trace de ce qui se passoit alors en moi.

Je n’avois pas encore assez de raison pour sentir combien les apparences me condamnoient & pour me mettre à la place des autres. Je me tenois à la mienne & tout ce que je sentois, c’étoit la rigueur d’un châtiment effroyable pour un crime que je n’avois pas commis. La douleur du corps, quoique vive, m’étoit peu sensible, je ne sentois que l’indignation, la rage, le désespoir. Mon cousin, dans un cas à peu près semblable & qu’on avoit puni d’une faute involontaire