Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/344

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leur fit croire que j’étois fou ; elles m’examinerent davantage & cet examen ne me nuisit pas. J’entendis une fois Madame de***.

[Colombier] dire à son amie : il manque de monde, mais il est aimable. Ce mot me rassura beaucoup & fit que je le devins en effet.

En se familiarisant il falloit parler de soi, dire d’où l’on venoit, qui l’on étoit. Cela m’embarrassoit ; car je sentois très-bien que parmi la bonne compagnie & avec des femmes galantes ce mot de nouveau converti m’alloit tuer. Je ne sais par quelle bizarrerie je m’avisai de passer pour Anglois ; je me donnai pour Jacobite, on me prit pour tel ; je m’appelai Dudding & l’on m’appela M. Dudding. Un maudit Marquis de***.

[Torignan] qui étoit là, malade ainsi que moi, vieux au par-dessus & d’assez mauvaise humeur, s’avisa de lier conversation avec M. Dudding. Il me parla du Roi Jaques, du Prétendant, de l’ancienne Cour de St. Germain. J’étois sur les épines. Je ne savois de tout cela que le peu que j’en avois lu dans le Comte Hamilton & dans les Gazettes ; cependant je fis de ce peu si bon usage que je me tirai d’affaire : heureux qu’on ne se fût pas avisé de me questionner sur la langue angloise dont je ne savois pas un seul mot.

Toute la compagnie se convenoit & voyoit à regret le moment de se quitter. Nous faisions des journées de limaçon. Nous nous trouvâmes un dimanche à St. Marcellin ; Madame N***.

[Larnage] voulut aller à la messe, j’y fus avec elle ; cela faillit à gâter mes affaires. Je me comportai comme j’ai toujours fait. Sur ma contenance modeste & recueillie, elle me crut dévot & prit de moi la plus mauvaise opinion du