Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/35

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fus que spectateur de la culbute, & j’avoue que je ne trouvai pas le moindre mot pour rire à un accident qui, bien que comique en lui-même, m’alarmoit pour une personne que j’aimois comme une mere & peut-être plus.

Ô vous, lecteurs curieux de la grande histoire du noyer de la terrasse, écoutez-en l’horrible tragédie & vous abstenez de frémir si vous pouvez !

Il y avoit hors la porte de la cour une terrasse à gauche en entrant sur laquelle on alloit souvent s’asseoir l’après-midi, mais qui n’avoit point d’ombre. Pour lui en donner M. Lambercier y fit planter un noyer. La plantation de cet arbre se fit avec solemnité. Les deux pensionnaires en furent les parrains, & tandis qu’on combloit le creux, nous tenions l’arbre chacun d’une main, avec des chans de triomphe. On fit pour l’arroser une espece de bassin tout autour du pied. Chaque jour, ardens spectateurs de cet arrosement, nous nous confirmions, mon cousin & moi, dans l’idée très-naturelle qu’il étoit plus beau de planter un arbre sur la terrasse, qu’un drapeau sur la brêche ; & nous résolûmes de nous procurer cette gloire, sans la partager avec qui que ce fût.

Pour cela, nous allâmes couper une bouture d’un jeune saule & nous la plantâmes sur la terrasse, à huit ou dix pieds de l’auguste noyer. Nous n’oubliâmes pas de faire aussi un creux autour de notre arbre : la difficulté étoit d’avoir de quoi le remplir ; car l’eau venoit d’assez loin & on ne nous laissoit pas courir pour en aller prendre. Cependant il en falloit absolument pour notre saule. Nous employâmes toutes sortes de ruses pour lui en fournir durant quelques jours & cela nous