Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/374

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les choses dans sa maison sur le pied d’aller sans empirer ; mais depuis moi tout étoit changé. Son Econome étoit un dissipateur. Il vouloit briller : bon cheval, bon équipage ; il aimoit à s’étaler noblement aux yeux des voisins ; il faisoit des entreprises continuelles en choses où il n’entendoit rien. La pension se mangeoit d’avance, les quartiers en étoient engagés, les loyers étoient arriérés & les dettes alloient leur train. Je prévoyois que cette pension ne tarderoit pas d’être saisie, peut-être supprimée. Enfin je n’envisageois que ruine & désastres & le moment m’en sembloit si proche que j’en sentois d’avance toutes les horreurs.

Mon cher cabinet étoit ma seule distraction. À force d’y chercher des remedes contre le trouble de mon ame, je m’avisai d’y en chercher contre les maux que je prévoyois, revenant à mes anciennes idées, me voilà bâtissant de nouveaux châteaux en Espagne, pour tirer cette pauvre Maman des extrémités cruelles où je la voyois prête à tomber. Je ne me sentois pas assez savant & ne me croyois pas assez d’esprit pour briller dans la république des lettres & faire une fortune par cette voie. Une nouvelle idée qui se présenta m’inspira la confiance que la médiocrité de mes talens ne pouvoit me donner. Je n’avois pas abandonné la musique en cessant de l’enseigner. Au contraire, j’en avois assez étudié la théorie pour pouvoir me regarder au moins comme savant dans cette partie. En réfléchissant à la peine que j’avois eue d’apprendre à déchiffrer les notes & à celle que j’avois encore de chanter à livre ouvert, je vins à penser que cette difficulté pouvoit bien venir de la chose autant que de moi, sachant