Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/435

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tôt à mon esprit, je débite des fables pour ne Pas demeurer muet, mais dans l’invention de ces fables’ j’ai soin, tant que je puis, qu’elles ne soient pas des mensonges, c’est-à-dire qu’elles ne blessent ni la justice ni la vérité due & qu’elles ne soient que des fictions indifférentes à tout le monde & à moi. Mon desir seroit bien d’y substituer au moins à la vérité des faits une vérité morale ; c’est-à-dire d’y bien représenter les affections naturelles au cœur humain, & d’en faire sortir toujours quelque instruction utile, d’en faire en un mot des contes moraux des apologues ; mais il faudroit plus de présence d’esprit que je n’en ai & plus de facilité dans la parole pour savoir mettre à profit pour l’instruction le babil de la conversation. Sa marche, plus rapide que celle de mes idées, me forçant presque toujours de parler avant de penser, m’a souvent suggéré des sottises & des Inepties que ma raison désapprouvoit & que mon cœur désavouoit à mesure qu’elles échappoient de ma bouche, mais qui, précédant mon propre jugement, ne pouvoient plus être réformées par sa censure.

C’est encore par cette premiere & irrésistible impulsion du tempérament que dans des momens imprévus & rapides la honte & la timidité m’arrachent souvent des mensonges auxquels ma volonté n’a point de part, mais qui la précèdent en quelque sorte par la nécessite de répondre a l’instant. L’impression profonde du souvenir de la pauvre Marion peut bien retenir toujours ceux qui pourroient être nuisibles à d’autres, mais non pas ceux qui peuvent servir à me tirer d’embarras quand il s’agit de moi seul, ce qui n’est pas moins