Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/438

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rité qu’en m’excusant avec trop d’indulgence, & ma conscience m’assure qu’un jour je serai jugé moins sévèrement que je ne me suis jugé moi-même. Oui, je le dis & le sens avec une fiere élévation d’âme, j’ai porté dans cet écrit la bonne foi, la véracité, la franchise aussi loin, plus loin même, au moins je le crois, que ne fit jamais aucun autre homme sentant que le bien surpassoit le mal j’avois mon intérêt à tout dire, & j’ai tout dit.

Je n’ai jamais dit moins, j’ai dit plus quelquefois, non dans les faits, mais dans les circonstances, & cette espèce de mensonge fut plutôt l’effet du délire de l’imagination qu’un acte de la volonté. J’ai tort même de l’appeler mensonge, car aucune de ces additions n’en fut un. J’écrivais mes Confessions déjà vieux, & dégoûté des vains plaisirs de la vie que j’avois tous effleurés & dont mon cœur avoit bien senti le vide. Je les écrivais de mémoire ; cette mémoire me manquoit souvent ou ne me fournissoit que des souvenirs imparfaits & j’en remplissais les lacunes par des détails que j’imaginois en supplément de ces souvenirs, mais qui ne leur étoient jamais contraires. J’aimais m’étendre sur les momens heureux de ma vie, & je les embellissais quelquefois des ornemens que de tendres regrets venoient me fournir. Je disais les choses que j’avois oubliées comme il me sembloit qu’elles avoient dû être, comme elles avoient été peut-être en effet, jamais au contraire de ce que je me rappelois qu’elles avoient été. Je prêtois quelquefois à la vérité des charmes étrangers, mais jamais je n’ai mis le mensonge à la place pour pallier mes vices ou pour m’arroger des vertus.