Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/445

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entrecoupé de quelques oiseaux, & le roulement des torrents qui tombent de la montagne ! Ce beau bassin d’une forme presque ronde enferme dans son milieu deux petites îles, l’une habitée & cultivée, d’environ une demi-lieue de tour, l’autre plus petite, déserte & en friche, & qui sera détruite à la fin par les transports de terre qu’on en ôte sans cesse pour réparer les dégâts que les vagues & les orages font à la grande. C’est ainsi que la substance du faible est toujours employée au profit du puissant.

Il n’y a dans l’île qu’une seule maison, mais grande, agréable & commode, qui appartient à l’hôpital de Berne ainsi que l’île, & où loge un receveur avec sa famille & ses domestiques. Il y entretient une nombreuse basse-cour, une voliere & des réservoirs pour le poisson. L’île dans sa petitesse est tellement variée dans ses terrains & ses aspects qu’elle offre toutes sortes de sites & souffre toutes sortes de cultures. On y trouve des champs, des vignes, des bois, des vergers, de gras pâturages ombragés de bosquets & bordés d’arbrisseaux de toute espèce dont le bord des eaux entretient la fraîcheur ; une haute terrasse plantée de deux rangs d’arbres borde l’île dans sa longueur, & dans le milieu de cette terrasse on a bâti un joli salon où les habitans des rives voisines se rassemblent & viennent danser les dimanches durant les vendanges.

C’est dans cette Île que je me réfugiai après la lapidation de Motiers. J’en trouvai le séjour si charmant, j’y menois une vie si convenable à mon humeur que résolu d’y finir mes jours, je n’avois d’autre inquiétude sinon qu’on ne me laissât pas