Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/448

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la Flora petrinsularis & de décrire toutes les plantes de l’Île sans en omettre une seule, avec un détail suffisant pour m’occuper le reste de mes jours. On dit qu’un Allemand a fait un livre sur un zeste de citron, j’en aurois fait un sur chaque gramen des prés, sur chaque mousse des bois, sur chaque lichen qui tapisse les rochers, enfin je ne voulois pas laisser un poil d’herbe, pas un atome végétal qui ne fût amplement décrit. En conséquence de ce beau projet, tous les matins après le déjeuner, que nous faisions tous ensemble, j’allois une loupe à la main & mon Systema naturae sous le bras, visiter un canton de l’île que j’avois pour cet effet divisée en petits carrés dans l’intention de les parcourir l’un après l’autre en chaque saison. Rien n’est plus singulier que les ravissemens, les extases que j’éprouvois à chaque observation que je faisais sur la structure & l’organisation végétale & sur le jeu des parties sexuelles dans la fructification, dont le système étoit alors tout à fait nouveau pour moi. La distinction des caractères génériques, dont je n’avois pas auparavant la moindre idée, m’enchantoit en les vérifiant sur les espèces communes en attendant qu’il s’en offrît à moi de plus rares. La fourchure des deux longues étamines de la brunelle, le ressort de celles de l’ortie & de la pariétaire, l’explosion du fruit de la balsamine & de la capsule du buis, mille petits jeux de la fructification que j’observais pour la premiere fois me combloient de joie, & j’allois demandant si l’on avoit vu les cornes de la brunelle comme La Fontaine demandoit si l’on avoit lu Habacucs. Au bout de deux ou trois heures je m’en revenois chargé d’une ample moisson provision d’a-