Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/450

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ser l’après-dînée, tantôt à des promenades très-circonscrites au milieu des marceaux, des bourdaines, des persicaires, des arbrisseaux de toute espèce, & tantôt m’établissant au sommet d’un tertre sablonneux couvert de gazon, de serpolet, de fleurs, même d’esparcette & de trèfles qu’on y avoit vraisemblablement semés autrefois, & très-propre à loger des lapins qui pouvoient là multiplier en paix sans rien craindre & sans nuire à rien. Je donnai cette idée au receveur qui fit venir de Neuchâtel des lapins mâles & femelles, & nous allâmes en grande pompe, sa femme, une de ses sœurs, Thérèse & moi, les établir dans la petite île, où ils commençoient à peupler avant mon départ & où ils auront prospéré sans doute s’ils ont pu soutenir la rigueur des hivers. La fondation de cette petite colonie fut une fête. Le pilote des Argonautes n’étoit pas plus fier que moi menant en triomphe la compagnie & les lapins de la grande île à la petite, & je notois avec orgueil que la receveuse, qui redoutoit l’eau à l’excès & s’y trouvoit toujours mal, s’embarqua sous ma conduite avec confiance & ne montra nulle peur durant la traversée.

Quand le lac agité ne me permettoit pas la navigation, je passais mon après-midi à parcourir l’île en herborisant à droite & à gauche m’asseyant tantôt dans les réduits les plus rians & les plus solitaires pour y rêver à mon aise, tantôt sur les terrasses & les tertres, pour parcourir des yeux le superbe & ravissant coup d’œil du lac & de ses rivages couronnés d’un côté par des montagnes prochaines & de l’autre élargis en riches & fertiles plaines, dans lesquelles la vue s’éten-