Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/467

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mis de moi pour me punir dans la leur, ils me font une pitié réelle. Si je suis malheureux ils le sont eux-mêmes, & chaque fois que je rentre en moi je les trouve toujours à craindre. L’orgueil peut-être se mêle encore à ces égaremens, je me sens trop au-dessus d’eux pour les haïr. Ils peuvent m’intéresser tout au plus jusqu’au mépris, mais jamais jusqu’à la haine. enfin je m’aime trop moi-même pour pouvoir haïr qui que soit. Ce seroit resserrer, comprimer mon existence, & je voudrois plutôt l’étendre sur tout l’univers.

J’aime mieux les fuir que les haïr. Leur aspect frappe mes sens & par eux mon cœur d’impressions que mille regards cruels me rendent pénibles ; mais le malaise cesse aussitôt que l’objet qui cause a disparu. Je m’occupe d’eux, & bien malgré moi par leur présence, mais jamais par leur souvenir. Quand je ne les vois plus, ils sont pour moi comme s’ils n’existoient point.

Ils ne me sont même indifférents qu’en ce qui se rapporte à moi ; car dans leurs rapports entre eux ils peuvent encore m’intéresser & m’émouvoir comme les personnages d’un drame que je verrois représenter. Il faudroit que mon être moral fût anéanti pour que la justice me devînt indifférente. Le spectacle de l’injustice & de la méchanceté me fait encore bouillir le sang de colère ; les actes de vertu où je ne vois ni forfanterie ni ostentation me font toujours tressaillir de joie & m’arrachent encore de douces larmes. Mais il faut que je les voie & les apprécie moi-même ; car après ma propre histoire il faudroit que je fusse insensé pour adopter, sur quoi