Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/47

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que par la fortune à mon véritable état d’apprentif. Mon latin, mes antiquités, mon histoire, tout fut pour long-tems oublié : je ne me souvenois pas même qu’il y eût eu des Romains au monde. Mon pere, quand je l’allois voir, ne trouvoit plus en moi son idole ; je n’étois plus pour les Dames le galant Jean-Jaques & je sentois si bien moi-même que M. & Mlle.Lambercier n’auroient plus reconnu en moi leur éleve, que j’eus honte de me représenter à eux & ne les ai plus revus depuis lors. Les goûts les plus vils, la plus basse polissonnerie succéderent à mes aimables amusemens, sans m’en laisser même la moindre idée. Il faut que malgré l’éducation la plus honnête, j’eusse un grand penchant à dégénérer ; car cela se fit très rapidement, sans la moindre peine & jamais César si précoce ne devint si promptement Laridon.

Le métier ne me déplaisoit pas en lui-même ; j’avois un goût vif pour le dessin ; le jeu du burin m’amusoit assez, & comme le talent du graveur pour l’horlogerie est très-borné, j’avois l’espoir d’en atteindre la perfection. J’y serois parvenu, peut-être, si la brutalité de mon maître & la gêne excessive ne m’avoient rebuté du travail. Je lui dérobois mon tems, pour l’employer en occupations du même genre, mais qui avoient pour moi l’attroit de la liberté. Je gravois des especes de médailles pour nous servir à moi & à mes camarades d’ordre de Chevalerie. Mon maître me surprit à ce travail de contrebande & me roua de coups, disant que je m’exerçois à faire de la fausse monnoie, parce que nos médailles avoient les armes de la République. Je puis bien jurer que je n’avois nulle idée de la fausse monnoie & très-peu