Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/507

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




NEUVIEME PROMENADE.


Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes, & nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimeres. Profitons du contentement d’esprit quand il vient, gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons pas des projets pour l’enchaîner, car ces projets là sont de pures folies. J’ai peu vu d’hommes heureux, peut-être point : mais j’ai souvent vu des cœurs contens, & de tous les objets qui m’ont frappé, c’est celui qui m’a le plus contenté moi-même. Je crois que c’est une suite naturelle du pouvoir des sensations sur mes sentimens internes. Le bonheur n’a point d’enseigne extérieure ; pour le connoître il faudroit lire dans le cœur de l’homme heureux ; mais le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l’accent, dans la démarche, & semble se communiquer à celui qui l’aperçoit. Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête, & tous les cœurs s’épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il y a trois jours que M. P. vint avec un empressement extraordinaire me montrer l’éloge de Madame Geoffrin par