Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/134

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s’muse à l’enterrer tout vivant ? S’il se pouvoit que nous eussions à subir vous ou moi le dernier supplice, voudrions-nous l’éviter au prix d’une pareille grace ? voudrions nous de la vie à condition de la passer ainsi ? Non sans doute ; il n’y point de tourment point de supplice que nous ne préférassions à celui-la, & la plus douloureuse fin de nos maux nous paroîtroit désirable & douce plutôt que de les prolonger dans de pareilles angoisses. Eh ! quelle idée ont donc vos Messieurs de l’honneur s’ils ne comptent pas l’infamie pour un supplice ? Non non, quoiqu’ils en puissent dire, ce n’est point accorder la vie que de la rendre pire que la mort.

Le François.

Vous voyez que notre homme n’en pense pas ainsi ; puisqu’au milieu de tout son opprobre il ne laissé pas de vivre de se porter mieux qu’il n’a jamais fait. Il ne faut pas juger des sentimens d’un scélérat par ceux qu’un honnête homme auroit à sa place. L’infamie n’est douloureuse qu’à proportion de l’honneur qu’un homme a dans le cœur. Les ames viles insensibles à la honte y sont dans leur élément. Le mépris n’affecte gueres celui qui s’en sent digne : c’est un jugement auquel son propre cœur l’a déjà tout accoutume.

Rousseau.

L’interprétation de cette tranquillité stoïque au milieu des outrages dépend du jugement déjà porte sûr celui qui les endure. Ainsi ce n’est pas sûr ce sang-froid qu’il convient de juger l’homme ; mais c’est par l’homme, au contraire, qu’il