Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/293

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n’étant que des passions secondaires produites par la réflexion n’agissent pas si sensiblement sur la machine. Voila pourquoi ceux que ces sortes de passions gouvernent sont plus maîtres des apparences que ceux qui se livrent aux impulsions directes de la nature. En général si les naturels ardens & vifs sont plus aimans, ils sont aussi plus emportes, moins endurans, plus coleres ; mais ces emportemens bruyans sont sans conséquence, si-tôt que le signe de la colere s’efface sur le visage, elle est éteinte aussi dans le cœur. Au contraire les gens flegmatiques & froids, si doux si patiens si modérés à l’extérieur, en-dedans sont haineux vindicatifs implacables ; ils savent conserver déguiser nourrir leur rancune jusqu’a ce que le moment de l’assouvir se présente. En général les premiers aiment plus qu’ils ne haïssent, les seconds haïssent beaucoup plus qu’ils n’aiment, si tant est qu’ils sachent aimer. Les ames d’une haute trempe sont néanmoins très-souvent de celles-ci, comme supérieures aux passions. Les vrais sages sont des hommes froids, je n’en doute pas ; mais dans la classe des hommes vulgaires, sans le contrepoids de la sensibilité, l’amour-propre emportera toujours la balance, & s’ils ne restent nuls, il les rendra mechans.

Vous me direz qu’il y a des hommes vifs & sensibles qui ne laissent pas d’être mechans haineux & rancuniers. Je n’en crois rien, mais il faut s’entendre. Il y a deux sortes de vivacité ; celle des sentimens & celle des idées. Les ames sensibles s’affectent fortement & rapidement. Le sang enflamme par une agitation subite porte à l’œil à la voix au visage ces mouvemens impétueux qui marquent la passion. Il est au contraire