Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/308

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qui lui manque en toute autre chose, quand rien ne l’intimidera, quand rien ne troublera cette présence d’esprit qu’il a si rarement, qu’il perd si aisément, & qu’il ne peut plus rappeller des qu’il l’a perdue. Il y a trente ans qu’on l’a vu dans Paris chanter tout à livre ouvert. Pourquoi ne le peut-il plus aujourd’hui ? C’est qu’alors personne ne doutoit du talent qu’aujourd’hui tout le monde lui refuse, & qu’un spectateur malveillant suffit pour troubler sa tête & ses yeux. Qu’un homme auquel il aura confiance lui présente de la musique qu’il ne connoisse point. Je parie, à moins qu’elle ne soit baroque ou qu’elle ne dise rien, qu’il la déchiffre encore à la premiere vue & la chante passablement. Mais si, lisant dans le cœur de cet homme il le voit mal intentionné, il n’en dira pas une note, & voilà parmi les spectateurs la conclusion tirée sans autre examen. J. J. est sur la musique & sur les choses qu’il sait le mieux comme il étoit jadis aux échecs. Jouoit-il avec un plus fort que lui qu’il croyoit plus foible, il le battoit le plus souvent ; avec un plus foible qu’il croyoit plus fort il étoit battu ; la suffisance des autres l’intimide & le démonté infailliblement. En ceci l’opinion l’a toujours subjugue, ou plutôt, en toute chose, comme il le dit lui-même, c’est au degré de sa confiance que se monte celui de ses facultés. Le plus grand mal est ici que sentant en lui sa capacité, pour désabuser ceux qui en doutent, il se livre sans crainte aux occasions de la montrer, comptant toujours pour cette. Fois rester maître de lui-même, & toujours intimide quoi qu’il fasse, il ne montre que son ineptie. L’expérience la-dessus à beau l’instruire, elle ne l’a jamais corrige.