Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/384

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que la commisération naturelle & l’humanité, qui demanderoient même une conduite contraire. Vous m’aviez dit cela, je le sentois ; & le zele très-singulier de nos Messieurs pour l’impunité du coupable, ainsi que pour sa diffamation, me presentoit des foules de contradictions & d’inconséquences, qui commençoient à troubler ma premiere sécurité.

J’étois dans ces dispositions quand, sur les exhortations que vous m’aviez faites, commençant à parcourir les livres de J. J. je tombai successivement sur les passages que j’ai transcrits & dont je n’avois auparavant nulle idée ; car en me parlant de ses durs sarcasmes, nos Messieurs m’avoient fait un secret de ceux qui les regardoient, & a la maniere dont ils s’intéressoient à l’auteur, je n’aurois jamais pense qu’ils eussent des griefs particuliers contre lui. Cette découverte & le mystère qu’ils m’avoient fait achevèrent de m’éclaircir sur leurs vrais motifs ; toute ma confiance en eux s’évanouit, & je ne doutai plus que, ce que sur leur parole j’avois pris pour bienfaisance & générosité, ne fut l’ouvrage d’une animosité cruelle, masquée avec art par un extérieur de bonté.

Une autre réflexion renforçoit les précédentes. De si sublimes vertus ne vont point seules. Elles ne sont que des branches de la vertu : le cherchois le tronc & ne le trouvois point. Comment nos Messieurs, d’ailleurs si vains si haineux si rancuniers, s’avisoient-ils une seule fois en leur vie d’être humains généreux débonnaires autrement qu’en paroles, & cela précisément pour le mortel, selon eux, le moins digne de cette commisération qu’ils lui prodiguoient malgré lui ? Cette vertu si nouvelle & si déplacée eut du m’être suspecte quand elle eut agi