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À M. DE VOLTAIRE.

ſujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avoit point raſſemblé là vingt mille maisons de ſix à ſept étages, & que ſi les habitans de cette grande ville euſſent été diſperſés plus également & plus légérement logés, le dégât eût été beaucoup moindre & peut-être nul. Tout eût fui au premier ébranlement, & on les eût vus le lendemain à vingt lieues de-là tout auſſi gais que ſ’il n’étoit rien arrivé. Mais il faut reſter, s’opiniâtrer autour des maſures, s’expoſer à de nouvelles secouſſes, parce que ce qu’on laiſſe vaut mieux que ce qu’on peut emporter. Combien de malheureux ont péri dans ce déſastre pour vouloir prendre, l’un ſes habits, l’autre ſes papiers, l’autre ſon argent ? Ne ſait-on pas que la perſonne de chaque homme est devenue la moindre partie de lui-même, & que ce n’eſt preſque pas la peine de la ſauver quand on a perdu tout le reste.

Vous auriez voulu que le tremblement ſe fût fait au fond d’un déſert plutôt qu’à Lisbonne. Peut-on douter qu’il ne s’en forme auſſi dans les déſerts, mais nous n’en parlons point, parce qu’ils ne font aucun mal aux Meſſieurs des villes, les ſeuls hommes dont nous tenions compte. Ils en font peu même aux animaux & Sauvages qui habitent épars ces lieux retirés, & qui ne craignent ni la chûte des toits, ni l’embraſement des maiſons. Mais que ſignifieroit un pareil privilege, ſeroit-ce donc à dire que l’ordre du monde doit changer ſelon nos caprices, que la nature doit être ſoumise à nos loix, & que pour lui interdire un tremblement de terre en quelque lieu, nous n’avons qu’à y bâtir une ville ?

Il y a des événemens qui nous frappent ſouvent plus ou