Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/113

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j’admire avec vous la sages & la retenue en matiere d’opinions, eût trouvé la vôtre si démontrée ? En général, il semble que les sceptiques s’oublient un peu si-tôt qu’ils prennent le ton dogmatique, & qu’ils devroient user plus sobrement que personne du terme de démontrer. Le moyen d’être cru quand on se vante de ne rien savoir, en affirmant tant de choses ! Au reste, vous avez fait un correctif très-juste au systême de Pope, en observant qu’il n’y a aucune gradation proportionnelle entre les créatures & le Créateur, & que si la chaîne des êtres créés aboutit à Dieu, c’est parce qu’il la tient, & non parce qu’il la termine.

Sur le bien du tout préférable à celui de sa partie, vous faites dire à l’homme : je dois être aussi cher à mon maître, moi être pensant & sentant, que les planetes qui probablement ne sentent point. Sans doute cet univers matériel ne doit pas être plus cher à son Auteur qu’un seul être pensant & sentant ; mais le systême de cet univers qui produit, conserve & perpétue tous les êtres pensans & sentans, lui doit être plus cher qu’un seul de ces êtres ; il peut donc, malgré sa bonté, ou plutôt par sa bonté même, sacrifier quelque chose du bonheur des individus à la conservation du tout. Je crois, j’espere valoir mieux aux yeux de Dieu que la terre d’une planete, mais si les planetes sont habitées, comme il est probable, pourquoi vaudrois-je mieux à ses yeux que tous les habitans de Saturne ? On a beau tourner ces idées en ridicule, il est certain que toutes les analogies sont pour cette population & qu’il n’y a que l’orgueil humain qui soit contre. Or, cette population supposée, la conservation de l’univers