Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/141

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& voyez combien cet objet est inalliable, incompatible avec vos principes. Comment ne sentez-vous pas que cette même loi de la nécessité qui seule régle, selon vous, la marche du monde & tous les événemens, régle aussi toutes les actions des hommes, toutes les pensées de leurs têtes, tous les sentimens de leurs cœurs, que rien n’est libre, que tout est forcé, nécessaire, inévitable, que tous les mouvemens de l’homme dirigés par la matiere aveugle ne dépendent de sa volonté que parce que sa volonté même dépend de la nécessite : qu’il n’y a par conséquent ni vertus ni vices, ni mérite ni démérite, ni moralité dans les actions humaines, & que ces mots d’honnête homme ou de scélérat doivent être pour vous totalement vide de sens. Ils ne le sont pas, toutefois, j’en suis très-sûr. Votre honnête cœur en dépit de vos argumens réclame contre votre triste philosophie. Le sentiment de la liberté, le charme de la vertu se sont sentir à vous malgré vous, & voilà comment de toutes parts cette sorte & salutaire voix du sentiment intérieur rappelle au sein de la vérité & de la vertu tout homme que sa raison mal conduite égare. Bénissez, Monsieur, cette sainte & bienfaisante voix qui vous ramene aux devoirs de l’homme que la philosophie à la mode finiroit par vous faire oublier. Ne vous livrez à vos argumens que quand vous les sentez d’accord avec le dictamen de votre conscience, & toutes les fois que vous y sentirez de la contradiction, soyez sûr que ce sont eux qui vous trompent.

Quoique je ne veuille pas ergoter avec vous ni suivre pied à pied vos deux lettres, je ne puis cependant me refuser un mot à dire sur le parallele du sage Hébreu & du sage Grec.