Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/152

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bienfaisance universelle. Je dis, & j’ai toujours dit que le christianisme est favorable à celle-là.

Mais les sociétés particulieres, les sociétés politiques & civiles ont un tout autre principe ; ce sont des établissemens purement humains, dont par conséquent le vrai christianisme nous détache, comme de tout ce qui n’est que terrestre. Il n’y a que les vices des hommes qui rendent ces établissemens nécessaires, & il n’y a que les passions humaines qui les conservent. Otez tous les vices à vos chrétiens, ils n’auroient plus besoin de magistrats ni de loix. Otez-leur toutes les passions humaines, le lien civil perd à l’instant tout son ressort ; plus d’émulation, plus de gloire, plus d’ardeur pour les préférences. L’intérêt particulier est détruit, & faute d’un soutien convenable, l’état politique tombe en langueur.

Votre supposition d’une société politique & rigoureuse de chrétiens tous parfaits à la rigueur, est donc contradictoire ; elle est encore outrée quand vous n’y voulez pas admettre un seul homme injuste, pas un seul usurpateur. Sera-t-elle plus parfaite que celle des Apôtres ? & cependant il s’y trouva un Judas..... sera-t-elle plus parfaite que celle des Anges ? & le Diable, dit-on, en est sorti. Mon cher ami, vous oubliez que vos chrétiens seront des hommes, & que la perfection que je leur suppose, est celle que peut comporter l’humanité. Mon livre n’est pas fait pour les Dieux.

Ce n’est pas tout. Vous donnez à vos citoyens un tact moral, une finesse exquise ; & pourquoi ? parce qu’ils sont bons chrétiens. Comment ! Nul ne peut être bon chrétien à votre compte, sans être un la Rochefoucault, un la