Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/160

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aux personnes. Ce qui importe essentiellement, c’est que la gouvernante ait la plus entiere confiance dans l’intégrité jugement, qu’elle soit persuadée qu’on ne la privera point du prix de ses soins si elle a réussi, & que quoiqu’elle puisse dire, elle ne l’obtiendra pas dans le cas contraire. Il ne faut jamais qu’elle oublie que ce n’est pas à sa peine que ce prix sera dû, mais au succès.

Je sais bien que, soit qu’elle ait fait son devoir ou non, ce prix ne sauroit lui manquer. Je ne suis pas assez sou, moi qui connois les hommes, pour m’imaginer que ces juges, quels qu’ils soient, iront déclarer solemnellement qu’une jeune Princesse de quinze à vingt ans a été mal élevée. Mais cette reflexion que je fais là, la Bonne ne la sera pas ; quand elle la seroit, elle ne s’y fieroit pas tellement qu’elle en négligeât des devoirs dont dépend son sort, sa fortune, son existence. Et ce qu’il importe ici n’est pas que la récompense soit bien administrée, mais l’éducation qui doit l’obtenir.

Comme la raison nue a peu de force, l’intérêt seul n’en pas tant qu’on croit. L’imagination seule est active. C’est une passion que nous voulons donner à la gouvernante, & l’on n’excite les passions que par l’imagination. Une récompense promise en argent est très-puissante, mais la moitié de sa force se perd dans le lointain de l’avenir. On compare de sang-froid l’intervalle & l’argent, on compense le risque avec la fortune, & le cœur reste tiede. Etendez, pour ainsi dire, l’avenir sous les sens, afin de lui donner plus de prise. Présentez le sous des faces qui le rapprochent, qui flattent l’espoir & séduisent l’esprit. On se perdroit dans la multitude de suppositions qu’il