Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/215

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étoit, déjà la gloire de l’Italie avant d’être accueilli par Charles VI. Tâchons donc de ne pas confondre le vrai progrès des talens avec la protection que les Souverains peuvent leur accorder. Les sciences régnent pour ainsi dire à la Chine depuis deux mille ans & n’y peuvent sortir de l’enfance, tandis qu’elles sont dans leur vigueur en Angleterre où le Gouvernement ne fait rien pour elles. L’Europe est vainement inondée de gens de Lettres, les gens de mérite y sont toujours rares ; les écrits durables le sont encore plus, & la postérité croira qu’on fit bien peu de Livres dans ce même siecle où l’on en fait tant.

Quant à votre patrie en particulier, il se présente, Monsieur, une observation bien finale. L’Impératrice & ses Augustes Ancêtres n’ont pas eu besoin de gager des historiens & des poètes pour célébrer les grande choses qu’ils voulaient faire, mais ils ont fait de grandes choses & elles ont été consacrées à l’immortalité comme celles de cet ancien Peuple qui savoit agir & n’écrivait point. Peut-être manquoit-il à leurs travaux le plus digne de les couronner, parce qu’il est le plus difficile : c’est de soutenir à l’aide des Lettres tant de gloire acquise sans elles.

Quoi qu’il en soit, Monsieur, assez d’autres donneront aux protecteurs des sciences & des arts des éloges que Leurs Majestés Impériales partageront avec la plupart des Rois : pour moi, ce que j’admire en Elles & qui leur est plus véritablement propre, c’est leur amour constant pour la vertu & pour tout ce qui est honnête. Je ne nie pas que votre pays n’ait été long-tems barbare, mais je dis qu’il étoit plus aisé d’établir les beaux-arts chez les Huns, que de faire de la