Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/219

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lui-même un bien qui m’aura fait supporter tous mes maux. J’attends paisiblement l’éclaircissement de ces grandes vérités qui me sont cachées, bien convaincu cependant, qu’en tout état de cause, si la vertu ne rend pas toujours l’homme heureux il ne sauroit au moins être heureux sans elle ; que les afflictions du juste ne sont point sans quelque dédommagement, & que les larmes même de l’innocence sont plus douces au cœur que la prospérité du méchant.

Il est naturel, mon cher Vernes, qu’un solitaire souffrant & privé de toute société, épanche son ame dans le sein de l’amitié, & je ne crains pas que mes confidences vous déplaisent ; j’aurois dû commencer par votre projet sur l’histoire de Geneve, mais il est des tems de peines & de maux où l’on est forcé de s’occuper de soi, & vous savez bien que je n’ai pas un cœur qui veuille se déguiser. Tout ce que je puis vous dire sur votre entreprise, avec tous les ménagemens que vous y voulez mettre, c’est qu’elle est d’un sage intrépide ou d’un jeune homme. Embrassez bien pour moi l’ami Roustan. Adieu, mon cher Concitoyen ; je vous écris avec une aussi grande effusion de cœur que si je me séparois de vous pour jamais, parce que je me trouve dans un état qui peut me mener très-loin encore, mais qui me laisse douter pourtant si chaque lettre que j’écris ne sera point la derniere.