Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/276

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sont fondés sur nos vices ne tomberont qu’avec eux ; vous voulez commencer par apprendre aux, hommes la vérité pour les rendre sages, & tout au contraire, il faudroit d’abord les rendre sages pour leur faire aimer la vérité. Là vérité n’a presque jamais rien fait dans le monde, parce que les hommes se conduisent toujours plus par leurs passions que par leurs lumieres, & qu’ils sont le mal approuvant le bien. Le siecle où nous vivons est des plus éclaires, même en morale ; est-il des meilleurs ? Les livres ne sont bons à rien, j’en dis autant des académies & des sociétés littéraires ; on ne donne jamais à ce qui en sort d’utile, qu’unie approbation stérile ; sans cela la nation qui a produit les Fenelons, les Montesquieux, les Mirabeaux, ne seroit-elle pas la mieux conduite & la plus heureuse de la terre ? En vaut-elle mieux depuis les écrits de ces grands hommes, & un seul abus a-t-il été redressé sur leurs maximes ? Ne vous flattez pas de faire plus qu’ils n’ont fait. Non, Messieurs, vous pourrez instruire les peuples, mais vous ne les rendrez ni meilleurs ni plus heureux. C’est une des choses qui m’ont le plus découragé, durant ma courte carriere littéraire, de sentir que, même me supposant tous les talens dont j’avois besoin, j’attaquerois sans fruit des erreurs funestes, & que quand je les pourrois vaincre les choses n’est iroient pas mieux. J’ai quelquefois charmé mes maux en satisfaisant mon cœur, mais sans m’en imposer sur l’effet de mes soins. Plusieurs m’ont lu, quelques-uns m’ont approuvé même, & comme je l’avois prévu, tous sont restés ce qu’il étoient auparavant. Messieurs, vous direz mieux & davantage, mais vous n’aurez pas un meilleur succès, & au lieu du bien