Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L’élévation des montagnes qui forment le vallon n’est pas excessive, mais le vallon même est montagne étant fort élevé au-dessus du lac, & le lac ainsi que le sol de toute la Suisse, est encore extrêmement élevé sur les pays de plaines, élevés à leur tour au-dessus du niveau de la mer. On peut juger sensiblement de la pente totale par le long & rapide cours des rivieres, qui, des montagnes de Suisse vont se rendre les unes dans la Méditerranée & les autres dans l’Océan. Ainsi, quoique la Reuse traversant le vallon, soit sujette à de fréquens débordemens qui sont des bords de son lit une espece de marais, on n’y sent point le marécage, l’air n’y est point humide & mal sain, la vivacité qu’il tire de son élévation l’empêchant de rester long-tems chargé de vapeurs grossieres, les brouillards, allez fréquens les matins, cedent pour l’ordinaire à l’action du soleil à mesure qu’il s’éleve.

Comme entre les montagnes & les vallées la vue est toujours réciproque, celle dont je jouis ici dans un fond n’est pas, moins vaste que celle que j’avois sur les hauteurs de Montmorenci, mais elle est d’un autre genre ; elle ne flatte pas elle frappe ; elle est plus sauvage que riante ; l’art n’y étale pas ses beautés, mais la majesté de la nature en impose, & quoi que le parc de Versailles soit plus grand que ce vallon, il ne paroîtroit qu’un colifichet en sortant d’ici. Au premier coup-d’œil le spectacle, tout grand qu’il est, semble un peu nud on voit très-peu d’arbres dans la vallée ; ils y viennent mal & ne donnent, presque aucun fruit ; l’escarpement des montagnes étant très-rapide montre en divers endroits le gris des rochers, le noir des sapins coupe ce gris d’une nuance qui