Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/329

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jalousie en augmentant l’émulation. Toutes vos écolieres pourront briller sans se nuire, & chacune se consolera d’en voir d’autres exceller dans leurs genres, en se disant, j’excelle aussi dans le mien. Au lieu qu’en leur faisant faire à toutes la même chose, vous laissez sans aucun subterfuge, l’amour-propre humilié ; & comme il n’y a qu’un modele de perfection, si l’une excelle dans le genre unique, il faut que toutes les autres lui cédent ouvertement la primauté.

Vous avez bien raison, mon cher Monsieur, de dire que je ne suis pas philosophe. Mais, vous qui parlez, vous ne seriez pas mal de tâcher de l’être un peu. Cela seroit plus avantageux à votre art que vous ne semblez le croire. Quoi qu’il en soit, ne fâchez pas les philosophes, je vous le conseille. Car tel d’entr’eux pourroit vous donner plus d’instructions sur la danse, que vous ne pourriez lui en rendre sur la philosophie ; & cela ne laisseroit pas d’être humiliant pour un éleve du grand Marcel.

Vous me taxez d’être singulier, & j’espere que vous avez raison. Toutefois vous auriez pu sur ce point, me faire grace en faveur de votre maître : car vous m’avouerez que M. Marcel lui-même étoit un homme fort singulier. Sa singularité, je l’avoue, étoit plus lucrative que la mienne ; & si c’est-là ce que vous me reprochez, il faut bien passer condamnation. Mais quand vous m’accusez aussi de n’être pas philosophe, c’est comme si vous m’acculiez de n’être pas maître à danser. Si c’est un tort à tout homme de ne pas savoir son métier, ce n’en est point un, de ne pas savoir le métier d’un autre. Je n’ai jamais aspiré à, devenir philosophe ; je ne me suis jamais