Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ne parlons donc pas de changer d’état, mais du parti que tous pouvez tirer du vôtre. Cet état est malheureux, il doit toujours l’être. Vos maux sont grands & sans remede ; vous les sentez, vous en gémissez, & pour les rendre supportables, vous cherchez du moins un palliatif. N’est-ce pas là l’objet que vous vous proposez dans vos plans d’études & d’occupations ?

Vos moyens peuvent être bons dans une autre vue, mais c’est votre sin qui vous trompe, parce que ne voyant pas la véritable source de vos maux, vous en cherchez l’adoucissement dans la cause qui les fit naître. Vous les cherchez dans votre situation, tandis qu’ils sont votre ouvrage. Combien de personnes de mérite nées dans le bien-être, & tombées dans l’indigence, l’ont supportée avec moins de succès & de bonheur que vous, & toutefois n’ont pas ces réveils tristes & cruels dont vous décrivez l’horreur avec tant d’énergie. Pourquoi cela ? Sans doute, elles n’auront pas, direz-vous, une ame aussi sensible. Je n’ai vu personne en ma vie qui n’en dît autant. Mais qu’est-ce enfin que cette sensibilité si vantée ? Voulez-vous le savoir, Henriette ? C’est en derniere analyse un amour-propre qui se compare. J’ai mis le doigt sur le siége du mal.

Toutes vos miseres viennent & viendront de vous être affichée. Par cette maniere de chercher le bonheur, il est impossible qu’on le trouve. On n’obtient jamais dans l’opinion des autres la place qu’on y prétend. S’ils nous l’accordent à quelques égards, ils nous la refusent à mille autres, & une seule exclusion tourmente plus que ne flattent cent préférences.