Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/398

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l’exécution vous sera d’abord très-pénible, il faudroit beaucoup changer vos directions. Cela demanderoit d’y bien penser, avant de se mettre à l’ouvrage. Je suis malade, occupé, abattu, j’ai l’esprit lent ; il me faut des efforts pénibles pour sortir du petit cercle d’idées qui me sont familieres, & rien n’en est plus éloigné que votre situation. Il n’est pas juste que je me fatigue à pure perte ; car j’ai peine à croire que vous vouliez entreprendre de refondre, pour ainsi dire, toute votre constitution morale. Vous avez trop de philosophie pour ne pas voir avec effroi cette entreprise. Je désespérerois de vous, si vous vous y mettiez aisément. N’allons donc pas plus loin quant à présent. Il suffit que votre principale question est résolue : suivez la carriere des Lettres. Il ne vous en reste plus d’autre à choisir.

Ces lignes que je vous écris à la hâte, distrait & souffrant ; ne disent peut-être rien de ce qu’il faut dire : mais les erreurs que ma précipitation peut m’avoir fait faire, ne sont pas irréparables. Ce qu’il falloit avant toute chose, étoit de vous faire sentir combien vous m’intéressez ; & je crois que vous n’en douterez pas en lisant cette lettre. Je ne vous regardois. jusqu’ici que comme une belle penseuse qui, si elle avoir reçu un caractere de la nature, avoir pris soin de l’étouffer, de l’anéantir sous l’extérieur ; comme un de ces chefs-d’œuvre jettes en bronze, qu’on admire par les dehors & dont le dedans est vide. Mais si vous savez pleurer encore sur votre état, il n’est pas sans ressource ; tant qu’il reste au cœur un peu d’étoffe, il ne saut désespérer de rien.