Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne laissent pas de m’embarrasser ; car je n’ai plus rien à faire ici. Le dégoût de toutes choses me livre toujours plus à l’indolence, & à l’oisiveté. Les maux physiques me donnent seuls un peu d’activité. Le séjour que j’habite, quoiqu’assez sain pour les autres hommes, est pernicieux pour mon état ; ce qui fait que pour me dérober aux injures de l’air & à l’importunité des désœuvrés, je vais, errant par le pays durant la belle saison ; mais aux approches de l’hiver qui est ici très-rude & très-long, il faut-revenir & souffrir. Il y a long-tems que je cherche à déloger ; mais où aller ? Comment m’arranger ? J’ai tout à la fois l’embarras de l’indigence & celui des richesses ; toute espece de soin m’effraye ; le transport de mes guenilles & de mes livres par ces montagnes est pénible & coûteux : c’est bien la peine de déloger de ma maison, dans l’attente de déloger bientôt de mon corps ! Au lieu que restant où je suis, j’ai des journées délicieuses, errant sans souci, sans projet, sans affaires, de bois en bois & de rochers en rochers, rêvant toujours & ne pensant point. Je donnerois tout au monde pour savoir la botanique ; c’est la véritable occupation d’un corps ambulant, & d’un esprit paresseux ; je ne répondrois pas que je n’eusse la folie d’essayer de l’apprendre, si je savois par où commencer. Quant à ma situation du côté des ressources, n’en soyez point en peine ; le nécessaire, même abondant, ne m’a point manqué jusqu’ici, & probablement ne me manquera pas si-tôt. Loin de vous gronder de vos offres, Madame, je vous en remercie ; mais vous conviendrez qu’elles seroient mal placées si je m’en prévalois avant le besoin.