Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/446

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vous en tirez déjà de quoi fournir ces oilles si savoureuses, sans être fort gourmand, je regrette tous les jours.

Que ne puis-je m’instruire auprès de vous dans une culture plus utile, quoique plus ingrate ! Que mes bons & infortune Corses ne peuvent-ils, par mon entremise, profiter de vos longues & profondes observations sur les hommes & les gouvernemens ! Mais je suis loin de vous. N’importe : sans songer à l’impossibilité du succès, je m’occuperai de ces pauvres gens comme si mes rêveries leur pouvoient être utiles. Puisque je suis dévoué aux chimeres, je veux du moins m’en forger d’agréables. En songeant à ce que les hommes pourroient être, je tâcherai d’oublier ce qu’ils sont. Les Corses sont, comme vous le dites fort bien, plus près de cet état desirable, qu’aucun autre peuple. Par exemple, je ne crois pas que la dissolubilité des mariages, très-utile dans le Brandebourg, le fût de long-tems en Corse, où la simplicité des mœurs & la pauvreté générale rendent encore les grandes passions inactives, & les mariages paisibles & heureux. Les femmes sont laborieuses & chastes ; les hommes n’ont de plaisirs que dans leur maison : dans cet état, il n’est pas bon de leur faire envisager comme possible, une séparation qu’ils n’ont nulle occasion de desirer.

Je n’ai point encore reçu la lettre avec la traduction de Fletcher que vous m’annoncez. Je l’attendois pour vous écrire, mais voyant que le paquet ne vient point, je ne puis différer plus long-tems. Mylord, j’ai le cœur plein de vous sans cesse. Songez quelquefois à votre fils le cadet.