Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/460

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ici. Je suis trop près de Geneve & de Berne. La passion de cette heureuse tranquillité m’agite & me travaille chaque jour davantage. Si je n’espérois la trouver à la fin, je sens que confiance acheveroit de m’abandonner. J’ai quelque envie d’essayer de l’Italie, dont le climat & l’inquisition me seront peut-être plus doux qu’en France & qu’ici. Je tâcherai cet été de me traîner de ce côté-là, pour y chercher un gîte paisible ; & si je le puis trouver, je vous promets bien qu’on n’entendra plus parler de moi. Repos, repos, chere idole de mon cœur, où te trouverai-je ? Est-il possible que personne n’en veuille laisser jouir un homme qui ne-troubla jamais celui de personne ! Je ne serois pas surpris d’être à la fin forcé de me réfugier chez les Turcs, & je ne doute point que je n’y fusse accueilli avec plus d’humanité & d’équité que chez les Chrétiens.

On vous dit donc, Madame, que M. de Voltaire m’a écrit sous le nom du Général Paoli, & que j’ai donné dans le piége. Ceux qui disant cela, ne sont gueres plus d’honneur, ce me semble, à la probité de M. de Voltaire qu’à mon discernement. Depuis la réception de votre lettre, voici ce qui m’est arrivé. Un Chevalier de Malte, qui a beaucoup bavardé dans Geneve, & qui dit venir d’Italie, est venu me voir, il y a quinze jours, de la part du Général Paoli, faisant beaucoup l’empressé des commissions dont il se disoit chargé près de moi, mais me disant au fond très-peu de chose, & m’étalant d’un air important, d’assez chétives paperasses fort pochetées. À chaque piece qu’il me montroit, il étoit tout étonné de me voir tirer d’un tiroir, la même piece, & la lui montrer à mon tour. J’ai vu que cela le mortifioit d’autant plus, qu’ayant fait tous ses