Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/466

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est venue d’eux, & je ne me suis point pressé d’y consentir. Du reste, je n’ai rien demandé, je ne demande rien, je ne demanderai rien, & quoi qu’il arrive on ne pourra pas se vanter de m’avoir fait un refus, qui après tout me nuira moins qu’à eux-mêmes, puisqu’il ne sera qu’ôter au pays cinq ou six cents mille francs que j’y aurois fait entrer de cette maniere, & qu’on ne rebutera peut-être pas si dédaigneusement ailleurs. Mais s’il arrivoit contre toute attente, que la permission fût accordée ou ratifiée, j’avoue que j’en serois touché comme si personne n’y gagnoit que moi seul, & que je m’attacherois au pays pour le reste de ma vie.

Comme probablement cela n’arrivera pas, & que le voisinage de Geneve me devient de jour en jour plus insupportable, je cherche à m’en éloigner à tout prix ; il ne me reste à choisir que deux asyles, l’Angleterre ou l’Italie. Mais l’Angleterre est trop éloignée ; il y fait trop cher vivre, & mon corps ni ma bourse n’en supporteroient pas le trajet. Reste l’Italie & sur-tout Venise, dont le climat & l’inquisition sont plus doux qu’en Suisse. Mais St. Marc quoiqu’apôtre ne pardonne gueres & j’ai bien dit du mal de ses enfans. Toutefois je crois qu’à la fin j’en courrai les risques, car j’aime encore mieux la prison & la paix que la liberté & la guerre. Le tumulte où je suis ne me permet encore de rien résoudre ; je vous en dirai davantage quand mes sens seront plus rassis. Un peu de vos conseils me seroit bien nécessaire : car je suis si malheureux quand j’agis de moi-même, qu’après avoir bien raisonné deteriora sequor.