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LETTRE À M. D.

Motiers le 14 Mars 1765.

Voici, Monsieur, votre lettre ; en la lisant, j’étois dans votre cœur ; elle est désolante. Je vous désolerai peut-être moi-même, en vous avouant que celle qui l’écrit, me paroît avoir de bons yeux, beaucoup d’esprit, & point d’ame. Vous devriez en faire, non votre amie, mais votre folle ; comme les Princes avoient jadis des foux ; c’est-à-dire, d’heureux étourdis qui osoient leur dire la vérité. Nous reparlerons de cette lettre, dans un tête-à-tête. Cher D., croyez-moi, continuez d’être bon & d’aimer les hommes ; mais ne comptez jamais avec eux.

Premier apte d’ami véritable, non dans vos offres, mais dans vos conseils ; je les attendois de vous ; vous n’avez pas trompé mon attente. Le desir de me venger de votre Prêtraille étoit né dans le premier mouvement ; c’étoit un effet de la colere ; mais je n’agis jamais dans le premier mouvement, & ma colere est courte ; nous sommes de même avis ; ils sont en sureté, & je ne leur serai surement pas l’honneur d’écrire contr’eux.

Non-seulement je n’ai pas dessein de quitter ce pays durant l’orage, je ne veux pas même quitter Motiers, à moins qu’on n’use de violence pour m’en chasser, ou qu’on ne me montre un ordre du Roi, sous l’immédiate protection duquel j’ai l’honneur d’être. Je tiendrai dans cette affaire, la contenance que je dois à mon protecteur & à moi. Mais de maniere ou d’autre, il faudra que cette affaire finisse ; si l’on me fait traîner dehors par des Archers, il faut bien que je m’en