Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/508

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leur dire en leur peignant ce singulier crime avec les couleurs que chacun sait ? Qui d’entr’eux est même en état de lire mon livre & d’entendre ce dont il s’agit ? Exceptons si l’on veut l’ardent satellite de M. de M., ce grand Maréchal qu’il cite si fiérement, ce grand clerc le Boirude de son Eglise, qui se connoît si bien en fers de chevaux & en livres de théologie. Je veux le croire en état de lire à jeun & sans épeller une ligne entiere, quel autre des ameutés en peut faire autant ? En entrevoyant sur mes pages les mots d’Evangile & de miracles, ils auroient cru lire un livre de dévotion, & me sachant bon homme ils auroient dit : que Dieu le bénisse, il nous édifie. Mais on leur a tant assuré que j’étois un homme abominable ; un impie, qui disoit qu’il n’y avoit point de Dieu & que les femmes n’avoient point d’ame, que sans songer au langage si contraire qu’on leur tenoit ci-devant ils ont à leur tour répété : c’est un impie, un scélérat, c’est l’Ante-christ, il faut l’excommunier, le brûler. On leur a charitablement répondu : sans doute ; mais criez & laisse -nous faire ; tout ira bien.

La marche ordinaire de Messieurs les gens d’Eglise me paroît admirable pour aller à leur but. Après avoir établi en principe leur compétence sur tout scandale, ils excitent le scandale sur tel objet qu’il leur plaît, & puis en vertu de ce scandale qui est leur ouvrage, ils s’emparent de l’affaire pour la juger. Voilà de quoi se rendre maîtres de tous les peuples, de toutes les loix, de tous les Rois, & de toute la terre sans qu’on ait le moindre mot à leur dire. Vous rappeliez-vous le conte de ce Chirurgien dont la boutique donnoit sur deux rues, & qui sortant par une porte estropioit les passans, puis rentroit