Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/519

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& qui va mieux, ce me semble, au but de ceux qui me poursuivent, que ne sera mon éloignement. J’ai consulté ma situation, mon âge, mon humeur, mes forces : rien de tout cela ne me permet d’entreprendre en ce moment, & sans préparation, de longs & pénibles voyages ; d’aller errant dans des pays froids, & de me fatiguer à chercher au loin un asyle, dans une saison où mes infirmités ne me permettent pas même de sortir de la chambre. Après ce qui s’est passé je ne puis me résoudre à rentrer dans le territoire de Neufchâtel, où la protection du Prince & du Gouvernement ne sauroit me garantir des fureurs d’une populace excitée qui ne connoît aucun frein ; & vous comprenez, Monsieur, qu’aucun des Etats voisins ne voudra, ou n’osera donner retraite à un malheureux si durement chassé de celui-ci.

Dans cette extrémité je ne vois pour moi qu’une seule ressource, & quelque effrayante qu’elle paroisse, je la prendrai non-seulement sans répugnance, mais avec empressement, si Leurs Excellences veulent bien y consentir : c’est qu’il leur plaise, que je passe en prison le reste de mes jours, dans quelqu’un de leurs châteaux, ou tel autre lieu de leurs Etats, qu’il leur semblera bon de choisir. J’y vivrai à mes dépens, & je donnerai sureté de n’être jamais à leur charge ; je me soumets à n’avilir ni papier, ni plume, ni aucune communication au-dehors, si ce n’est pour l’absolue nécessité, & par le canal de ceux qui seront chargés de moi ; seulement qu’on me laisse avec l’usage de quelques livres, la liberté de me promener quelquefois dans un jardin, & je suis content.

Ne croyez point, Monsieur, qu’un expédient si violent eu