Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/53

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jamais dans ses projets les plus chéris, supportât sans indignation la seule idée de se voir forcé d’être juste, non-seulement avec les étrangers, mais même avec ses propres sujets.

Il est facile encore de comprendre que d’un côté la guerre & les conquêtes, & de l’autre le progrès du despotisme s’entr’aident mutuellement ; qu’on prend à discrétion dans un peuple d’esclaves, de l’argent & des hommes pour en subjuguer d’autres ; que réciproquement la guerre fournit un prétexte aux exactions pécuniaires, & un autre non moins spécieux d’avoir toujours de grandes armées pour tenir le peuple en respect. Enfin, chacun voit assez que les Princes conquérans font pour le moins autant la guerre à leurs sujets qu’à leurs ennemis, & que la condition des vainqueurs n’est pas meilleure que celle des vaincus : J’ai battu les Romains, écrivoit Annibal aux Carthaginois ; envoyez-moi des troupes : j’ai mis l’Italie à contribution, envoyez-moi de l’argent. Voilà ce que signifient les Te Deum, les feux de joie, & l’allégresse du peuple aux triomphes de ses maîtres.

Quant aux différends entre Prince & Prince, peut-on espérer de soumettre à un Tribunal supérieur des hommes qui s’osent vanter de ne tenir leur pouvoir que de leur épée, & qui ne font mention de Dieu même que parce qu’il est au Ciel ? Les Souverains se soumettront-ils dans leurs querelles à des voies juridiques que toute la rigueur des loix n’a jamais pu forcer les particuliers d’admettre dans les leurs ? Un simple gentilhomme offensé, dédaigne de porter ses plaintes au Tribunal des Maréchaux de France, & vous voulez qu’un Roi porte les siennes à la Diète Européenne ? Encore y a-t-il