Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/597

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qui disparoissent si-tôt que je reviens à mon papier. Cette vie oisive & contemplative que vous n’approuvez pas & que je n’excuse pas me devient chaque jour plus délicieuse. Errer seul sans fin & sans cesse parmi les arbres & les roches qui entourent ma demeure, rêver ou plutôt extravaguer à mon aise, &, comme vous dites, bayer aux corneilles ; quand ma cervelle s’échausse trop, la calmer en analysant quelque mousse ou quelque fougere ; enfin me livrer sans gêne à mes fantaisies qui, graces au Ciel, sont toutes en mon pouvoir ; voilà Monsieur, pour moi la suprême jouissance, à laquelle je n’imagine rien de supérieur dans ce monde pour un homme à mon âge & dans mon état. Si j’allois dans une de vos terres, vous pouvez compter que je n’y prendrois pas le plus petit soin en faveur du propriétaire ; je vous verrois voler, piller, dévaliser, sans jamais en dire un seul mot ni à vous ni à personne. To mes malheurs me viennent de cette ardente haine de l’injustice que je n’ai jamais pu dompter. Je nie le tiens pour dit. Il est tems d’être sage, ou du moins tranquille. Je suis las de guerres & de querelles ; je suis bien sûr de n’en avoir jamais avec les honnêtes gens, & je n’en veux plus avec les fripons, car celles-là sont trop dangereuses. Voyez donc, Monsieur, quel homme utile vous mettriez dans votre maison ! À Dieu ne plaise que je veuille avilir votre offre par cette objection ; mais c’en est une dans vos maximes, & il faut être conséquent.

En censurant cette nonchalance, vous me répéterez que c’est n’être bon à rien que n’être bon que pour soi : mais peut-on être vraiment bon pour soi sans être par quelque côté bon pour les autres ? D’ailleurs, considérez qu’il n’appartient