Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à vous ensevelir sous les ruines de la patrie, faites plus ; osez vivre pour sa gloire au moment qu’elle n’existera plus. Oui, Messieurs, il vous reste, dans le cas que je suppose, un dernier parti à prendre ; & c’est, j’ose le dire, le seul qui soit digne de vous : c’est, au lieu de souiller vos mains dans le sang de vos compatriotes, de leur abandonner ces murs qui devoient être l’asyle de la liberté, & qui vont n’être plus qu’un repaire de tyrans. C’est d’en sortir tous, tous ensemble, en plein jour, vos femmes & vos enfans au milieu de vous, & puisqu’il faut porter des fers, d’aller porter du moins ceux de quelque grand Prince, & non pas l’insupportable & odieux joug de vos égaux. Et ne vous imaginez pas qu’en pareil cas vous resteriez sans asyle : vous ne savez pas quelle estime & quel respect votre courage, votre modération, votre sagesse ont inspiré pour vous dans toute l’Europe. Je n’imagine pas qu’il s’y trouve aucun Souverain, je n’en excepte aucun, qui ne reçût avec honneur, j’ose dire avec respect, cette colonie émigrante d’hommes trop vertueux pour ne savoir pas être sujets aussi fidelles qu’ils furent zélés citoyens. Je comprends bien qu’en pareil cas plusieurs d’entre vous seroient ruinés ; mais je pense que des gens qui savent sacrifier leur vie au devoir, sauroient sacrifier leurs biens à l’honneur & s’applaudir de ce sacrifice ; & après tout, ceci n’est qu’un dernier expédient pour, conserver sa vertu & son innocence quand tout le reste est perdu. Le cœur plein de cette idée, je ne me pardonnerois pas de n’avoir osé vous la communiquer. Du reste, vous êtes éclairés & sages ; je suis très-sûr que vous prendrez toujours en tout le meilleur parti, & je ne puis croire qu’on laisse