Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/643

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de votre cœur, & les lumieres de votre raison ; voilà, Monsieur, tout ce que je vous demande, & je me tiens alors pour bien jugé.

Vous me tancez avec grande raison sur la maniere dont je vous parois juger votre nation ; ce n’est pas ainsi que je la juge de sang-froid, & je suis bien éloigné, je vous jure, de lui rendre l’injustice dont elle use envers moi. Ce jugement trop dur étoit l’ouvrage d’un moment de dépit & de colere qui même ne se rapportoit pas à moi, mais au grand homme qu’on vient de chasser de sa naissante patrie, qu’il illustroit déjà dans son berceau, & dont on ose encore souiller les vertus avec tant d’artifice & d’injustice. S’il restoit, me disois-je, de ces François célébrés par du Belloy, pourquoi leur indignation ne réclameroit-elle point contre ces manœuvres si peu dignes d’eux

C’est à cette occasion que Bayard me revint en mémoire, bien sûr de ce qu’il diroit ou seroit, s’il vivoit aujourd’hui. Je ne sentois pas assez que tous les hommes, même vertueux, ne sont pas des Bayards, qu’on peut être timide sans cesser d’être juste, & qu’en pensant à ceux qui machinent & crient, j’avois tort d’oublier ceux qui gémissent & se taisent. J’ai toujours aimé votre nation, elle est même celle de l’Europe que j’honore le plus, non que j’y croye appercevoir plus de vertus que dans les autres, mais par un précieux reste de leur amour qui s’y est conservé, & que vous réveillez, quand il étoit prêt à s’éteindre. Il ne faut jamais désespérer d’un peuple qui aime encore ce qui est jure & honnête, quoiqu’il ne le pratique plus. Les François auront beau applaudir aux traits héroïque