Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/658

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de vaincre cette répugnance, sans que l’enfant s’en apperçût, & sans le contrarier ; ce qui, par exemple, pourroit se faire en l’exposant à avoir grand’faim, & à ne trouver, comme par hasard que l’aliment auquel il répugne. Mais si cet essai ne réussit pas, je ne serois pas d’avis de s’y obstiner. Que s’il’s’agit de mets composés tels qu’on en sert sur les tables des Grands, la précaution paroît d’abord assez superflue ; car il est peu apparent que le petit bon-homme se trouve un jour réduit dans les bois ou ailleurs, à des ragoûts de truffes ou à des profiteroles, au chocolat pour toute nourriture. Mais peut-être a-t-on un autre objet qu’on ne vous dit pas, & qui n’est pas sans fondement. Votre Eleve est fait pour avoir un jour place aux petits soupés des Rois & des Princes : il doit aimer tout ce qu’ils aimeront ; il doit préférer tout ce qu’ils préféreront ; il doit en toute chose avoir les goûts qu’ils auront ; & il n’es pas d’un bon courtisan d’en avoir d’exclusifs. Vous devez comprendre par-là & par beaucoup d’autres choses, que ce n’est pas un Emile que vous avez à élever. Ainsi gardez-vous bien d’être un Jean-Jaques ; car comme vous voyez, cela ne réussit pas pour le bonheur de cette vie.

Prêt à quitter cette demeure, je n’ai plus d’adresse assez fixe à vous donner pour y recevoir de vos lettres, Adieu, Monsieur.