Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/663

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intéressante. Un acte de vertu dont je connois bien tout le priz ; un besoin de nourriture à votre ame qui me fait présumer de la vigueur pour la digérer, & la santé qui en est la source. Ce vide interne dont vous vous plaignez, ne se fait sentir qu’aux cœurs faits pour être remplis. Les cœurs étroits ne sentent jamais de vide, parce qu’ils sont toujours pleins de rien : il en est, au contraire, dont la capacité vorace est si grande, que les chétifs êtres qui nous entourent ne la peuvent remplir. Si la nature vous a fait le rare & funeste présent d’un cœur trop sensible au besoin d’être heureux, ne cherchez rien au -dehors qui lui puisse suffire : ce n’est que de sa propre substance qu’il doit se nourrir. Madame, tout le bonheur que nous voulons tirer de ce qui nous est étranger, est un bonheur faux. Les gens qui ne sont susceptibles d’aucun autre, sont bien de s’en contenter ; mais si vous êtes celle que je suppose, vous ne serez jamais heureuse que par vous-même ; n’attendez rien pour cela que de vous. Ce sens moral si rare parmi les hommes, ce sentiment exquis du beau, du vrai, du juste, qui réfléchit toujours sur nous-mêmes, tient l’ame de quiconque en est doué dans un ravissement continuel qui est la plus délicieuse des jouissances. La rigueur du sort, la méchanceté des hommes, les maux imprévus, les calamités de toute espece peuvent l’engourdir pour quelques momens, mais jamais l’éteindre ; & presque étouffé sous le faix des noirceurs humaines, quelquefois une explosion subite peut lui rendre son premier éclat. On croit que ce n’est pas à une femme de votre âge qu’il faut dire ces choses-là ; & moi je crois, au contraire, que ce n’est qu’à votre âge qu’elles sont utiles, & que le cœur s’y peut ouvrir ;