Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/316

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Je reviens aux plaisirs du théâtre. Vous avez laissé avec raison aux déclamateurs de la chaire, cet argument si rebattu contre les spectacles, qu’ils sont contraires à l’esprit du christianisme, qui nous oblige de nous mortifier sans cessé. On s’interdiroit sur ce principe les délassemens que la religion condamne le moins. Les Solitaires austeres de Port-Royal, grands prédicateurs de la mortification chrétienne, & par cette raison grands adversaires de la comédie, ne se refusoient pas dans leur solitude, comme l’a remarqué Racine, le plaisir de faire des sabots, & celui de tourner les Jésuites en ridicule.

Il semble donc que les spectacles, à ne les considérer encore que du côté de l’amusement, peuvent être accordés aux hommes, du moins comme un jouet qu’on donne à des enfans, qui souffrent. Mais ce n’est pas seulement un jouet qu’on a prétendu leur donner, ce sont des leçons utiles déguisées sous l’apparence du plaisir. Non-seulement on a voulu distraire de leurs peines ces enfans adultes ; on a voulu que ce théâtre, où ils ne vont en apparence que pour rire ou pour pleurer, devint pour eux, sans qu’ils s’en apperçussent, une école de mœurs & de vertu. Voilà, Monsieur, de quoi vous croyez le théâtre incapable ; vous lui attribuez même un effet absolument contraire, & vous prétendez le prouver.

Je conviens d’abord avec vous, que les Ecrivains dramatiques ont pour but principal de plaire, & que celui d’être utiles est tout au plus le second : mais qu’importe, s’ils sont en effet utiles, que ce soit leur premier ou leur second objet ? Soyons de bonne soi, Monsieur, avec nous-mêmes, & convenons que les Auteurs de théâtre n’ont rien en cela qui