Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/336

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grandeur suprême, & comme les degrés par lesquels la nature rapproche les Princes des autres hommes. Mais les malheurs de la vie privée n’ont point cette ressource à nous offrir ; ils sont l’image fidelle des peines qui nous affligent ou qui nous menacent ; un Roi n’est presque pas notre semblable, & le sort de nos pareils a bien plus de droits à nos larmes.

Ce qui me paroît blâmable dans ce genre, ou plutôt chat la maniere dont sont traité nos Poetes, est le mélange bizarre qu’ils y ont presque toujours fait du pathétique & du plaisant ; deux sentimens si tranchans & si disparates ne sont pas faits pour être voisins ; & quoiqu’il y ait dans la vie quelques circonstances bizarres où l’on rit & où son pleure à la fois, je demande si toutes les circonstances de la vie sont propres à être représentées sur le théâtre, & si le sentiment trouble & mal décidé qui résulte de cet alliage des ris avec les pleurs, est préférable au plaisir seul de pleurer, ou même au plaisir seul de rire ? Les hommes sont tous de fer ! s’écrie l’Enfant prodigue, après avoir fait à son valet la peinture odieuse de l’ingratitude & de la dureté de les anciens amis ; & les femmes ? lui répond le valet, qui ne veut que faire rire le parterre ; j’ose inviter l’illustre Auteur de cette piece à retrancher ces trois mots, qui ne sont là que pour défigurer un chef-d’œuvre. Il me semble qu’ils doivent produire sur tous les gens de goût le même effet qu’un son aigre & discordant qui se seroit entendre tout-à-coup au milieu d’une musique touchante.

Après avoir dit tant de mal des spectacles, il ne vous restoit plus, Monsieur, qu’à vous déclarer aussi contre les personnes qui les représentent & contre qui, selon