Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/53

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Ce sont les Lettres qui donnent un lustre incomparable à la vertu : celle-ci a des charmes, il est vrai, qui lui sont propres, & qu’elle n’emprunte que d’elle-même ; mais semblable à l’aimant qui a besoin d’être armé pour développer toute sa forcé, la vertu ne peut gueres se passer de la silence. Seule & isolée, elle paroît l’effet d’un caractere dur, ou d’un génie stupide. Pour emporter tous les suffrages, il faut allier la piété l’érudition. Cet heureux accord dissipe le venin de l’envie, réprime l’audace de l’impiété, chasse les vaines terreurs qu’inspire la timidité. Il n’est personne qui n’embrasse volontiers le parti de la vertu guidée & éclairée par la science.

On nous cite je ne sais quel Peuple, qui n’existe peur-être nulle part, si ce n’est dans les descriptions des Poetes, dont les mœurs, dit-on, sont si pures, qu’il ne connoît pas même les passions. Il doit son innocence à une ignorance profonde qui lui interdit les connoissances les plus communes. C’est un peuple d’enfans, tant il a de douceur, de candeur & de simplicité. En supposant la vérité de ce qu’on avance ainsi, je vous demande, Messieurs, si l’intelligence da Créateur brille avec plus d’avantage dans les jeux puériles, ou les occupations frivoles de ce peuple ignorant, que dans les sublimes pensées & les actions héroïques du Sage dont l’esprit est paré des richesses de la science ; non sans doute, on ne connoît point la vertu, lorsqu’on n’a pas de notion du vice. Il y a plus de grandeur à être vertueux par goût & par choix, à réprimer par la forcé de l’aime la vivacité des passions, à étendre l’empire de la raison par ses mœurs & par ses écrits, qu’il n’y en auroit à triompher du vice par l’ignorance & par l’inaction. Le peuple dont