Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/570

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de la nature, sont les momens de la vie où l’on jouit le plus délicieusement de soi. J’avoue pourtant que depuis votre départ, j’ai joint un petit objet d’amour propre, à celui d’amuser innocemment & agréablement mon oisiveté. Quelques fruits étrangers, quelques graines qui me sont par hasard tombées entre les mains, m’ont inspiré la fantaisie de commencer une très-petite collection en ce genre. Je dis commencer, car je serois bien fâche de tenter de l’achever quand la chose me seroit possible, n’ignorant pas que tandis qu’on est pauvre, on ne sent que le plaisir d’acquérir, & que quand on est riche au contraire, on ne sent que la privation de ce qui nous manque & l’inquiétude inséparable du desir de compléter ce qu’on a. Vous devez depuis long- tems en être à cette inquiétude, vous, Monsieur, dont la riche collection rassemble en petit presque toutes les productions de la nature, & prouve par son bel assortiment, combien M. L’abbé Rosier a eu raison de dire qu’elle est l’ouvrage du choix & non du

hasard. Pour moi qui ne vais que tâtonnant dans un petit coin de cet immense labyrinthe, je rassemble fortuitement & précieusement tout ce qui me tombe sous la main, & non-seulement j’accepte avec ardeur & reconnoissance les plantes que vous voulez bien m’offrir ; mais si vous vous trouviez avec cela quelques fruits ou graines surnuméraires & de rebut dont vous voulussiez bien m’enrichir, j’en serois la gloire de ma petite collection naissante. Je suis confus de ne pouvoir dans ma misere rien vous offrir en échange, au moins pour le moment. Car quoique j’eusse rassemblé quelques plantes depuis mon arrivée à Paris, ma négligence & l’humidité de la chambre