Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/598

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mais délicat qui vous entraîne vers les plaisirs, vous a bientôt fait démêler la fadeur des plus brillans ; vous éprouverez avec étonnement que les plus simples & les plus modestes n’en ont ni moins d’attraits, ni moins de vivacité. Vous connoissez désormais les hommes ; vous n’avez plus besoin de les tant voir pour apprendre à les mépriser ; il sera bon maintenant que vous vous consultiez un peu pour savoir à votre tour quelle opinion vous devez avoit de vous-même. Ainsi, en même tems que vous essayerez d’un autre genre de vie, vous ferez en même tems sur votre intérieur un petit examen dont le fruit ne sera pas inutile à votre tranquillité.

Monsieur, que vous donnassiez dans l’excès, c’est ce que je ne voudrois pas sans ménagement. Vous n’avez pas sans doute absolument renoncé à la société, ni au commerce des hommes ; comme vous vous êtes déterminé de pur choix, & sans qu’aucun fâcheux revers vous y ait contraint, vous n’aurez garde d’épouser les fureurs atrabilaires des misanthropes, ennemis mortels du genre-humain ; permis à vous de le mépriser, à la bonne heure, vous ne serez pas le seul ; mais vous devez l’aimer toujours : les hommes, quoiqu’on dise, sont nos freres, en dépit de nous & d’eux ; freres fort durs à la vérité, mais nous n’en sommes pas moins obligés de remplir à leur égard tous les devoirs qui nous sont imposés. À cela près, il faut avouer qu’on ne peut se dispenser de porter la lanterne dans la quantité pour s’établir un commerce & des liaisons, & quand malheureusement la lanterne ne montre rien, c’est bien une nécessité de traiter avec soi-même & de se prendre, faute d’autre, pour ami & pour confident.